Sleevenotes to Albert Ayler - ‘Nuits de la Fondation Maeght’ Double LP Set (SH 83503/83504)
(The sleevenotes of the double LP set are in French and English and these are given verbatim.)
A la fin de l’année 1970, quelques mois seulement après avoir remporté un triomphe aux Nuits de la Fondation Maeght, mourait dans des circonstances mystérieuses celui que chacun s’accorde à considérer aujourd’hui comme la plus forte personnalité du jazz “free”. Albert Ayler avait disparu de son domicile new-yorkais le 5 novembre, et ce n’est que trois semaines plus tard que l’on retrouvait son corps dans les eaux de l’East River. Ses obsèques eurent lieu à Cleveland, so ville natale. Il avait trente-quatre ans.
Le Roi Jones écrivait en 1965: “Albert Ayler est un mâitre aux dimensions stupéfiantes, et il est irritant de penser que bien des gens pourraient mettre longtemps à s’en apercevoir.” De fait, pendant de longues années, peu nombreux furent ceux qui se rendirent compte de l’importance de ce novateur exceptionnel. A cette époque, Albert Ayler était plutôt considéré comme un musicien bizarre à écouter seulement par curiosité, voire comme un scandaleux imposteur.
On peut s’étonner que celui qui a fait pendant longtemps figure de champion de l’anti-jazz soit aujourd’hui promu au rang des créateurs dont l’art est le plus solidement enraciné. C’est que l’originalité de la démarche d’Albert Ayler est d’allier les fondements mêmes de la musique afro-américaine — le “swing”, le climat du blues, du spiritual et de traditions peut- être encore plus anciennes — à ses virtualités les plus extrêmes, les plus vertigineuses, les plus “déraisonnables”... Il est certain qu’à la première écoute, les émissions simultanées de plusieurs notes, le vibrato de large amplitude, les grincements, sifflements d’anche et autres effets qu’il peut employer ont de quoi surprendre. Autre sujet possible d’étonnement: les thèmes qui servent de prétexte ou de base aux improvisations. Ces derniers peuvent être des marches, des airs de fanfare ou de candides ritournelles. Une naïveté apparente qui ne doit pas pour autant faire illusion car Albert Ayler “vampirise” littéralement tout ce qu’il joue, et cela grâce à l’outrance d’un expressionnisme qui masque, en les rendant d’autant plus agissants, de subtils décalages rythmiques et mélodiques.
Albert Ayler était parfaitement lucide quant à ses objectifs, et nulle démagogie n’entrait dans ses propos quand il parlait d’une musique du peuple pour le peuple: “Je veux jouer les airs que je chantais quand j’étais enfant. Des mélodies folkloriques que tout le monde pourrait comprendre. J’utiliserais ces mélodies comme point de départ et plusieurs mélodies simples se déplaceraient à l’intérieur d’un même morceau. D’une simple mélodie à des textures complexes, puis de nouveau à la simplicité et, de là, jusqu’aux sons les plus complexes et les plus denses”.
On a voulu voir dans l’allégresse triomphante qu’exprime souvent la musique d’Albert Ayler, et dans l’humour dont elle témoigne parfois, une volonté de destruction par la dérision, ce qui nous a toujours paru sujet à caution et, de toutes façons, par trop limitatif. Albert Ayler a déclaré à plusieurs reprises que ce qu’il jouait était essentiellement un chant, un cri d’amour et on peut le croire sur parole. Un amour universel exprimé avec une conviction presque effrayante. Amour c’est-à-dire joie, bonheur suprême, mais aussi, inévitablement, bonheur menacé. D’où, sans doute, cette émotion poignante qui n’est jamais absente de sa musique et qui en constitue même, à nos yeux, un des éléments les plus profondément spécifiques.
De quelle façon aurait évolué la musique d’Albert Ayler s’il avait survécu? A côté de la fougue et de l’exubérance coutumières, apparaît dans les enregistrements de la Fondation Maeght une inclination vers un dépouillement auquel le saxophoniste ne nous avait pas habitués. “Music is the Healing Force of the Universe”, le dernier morceau joué à Saint Paul de Vence, semble marquer une volonté de retenir l’écoulement du temps. Mary Maria y chant avec “soul”, tandis qu’Albert Ayler l’accompagne par des contre-chants dont le lyrisme déchirant ne peut manquer d’éveiller aujourd’hui de singulières résonances.
Daniel CAUX
Towards the end of 1970, shortly after a triumphant success at the “Nights of the Maeght Foundation”, he died in mysterious circumstances; the man is considered today by most people as one of the best exponents of “free” jazz.
Albert AYLER had vanished from his New York home on November 5, 1970.
Three weeks later, his body was found in the East River. His burial took place in Cleveland, his home town. He was thirty years old.
In 1965, le Roi Jones wrote: “Albert AYLER is a master of staggering dimension, now, and it disturb me to think that is might take a long time for a lot people to find it out”.
Thus during a long time, there were few who were aware of the importance of this exceptional innovator. At that time, Ayler was considered a musical oddity, to be listened to only out of curiosity; or even as a scandalous imposter.
It is surprising to note that he, who was for a long time the representative of an anti-jazz movement ranks today as one of its foremost creators, whose art has deep roots.
The originality of Albert Ayler’s music is to merge the very foundation of Afro-american music, of swing, of the climate of the blues, of spirituals and perhaps even older traditions—with its most extreme, unreasonable virtualities...
Certainly when heard for the first time, the simultaneous emission of several notes the large range of the vibrato, the grating sounds, the whistling of the reeds and the other effects that he might use, are subject of surprise.
Another subject of surprise: the themes which are used as a pretext or base for the improvisations. These include marches, parade music or candid ritornelles. This apparent naivety should not deceive the listener, for Albert Ayler literally “vampirizes” everything he plays, thanks to the exaggerations of his expressionism which conceal, in order to make them more effective, subtle rhythmic and melodic differences.
Albert Ayler knew precisely what he was aiming at and there was not the slightest hint of demagogy in his idea of a music for the people and by the people.
“I want to play the tunes that I used to sing when I was a kid. Folk music that anybody can understand. Within the same number, I would use these melodies as starting points that would be put together with several other simple ones. There would be a progression from a simple melody to more elaborate ones, then a return to simplicity and from there, I would reach more complex and dense sounds.”
The extreme joyfulness and humor of Albert Ayler’s music has been sometimes considered as aimed towards destruction, an analysis we never agreed with and which, anyway, we considered too narrow an approach.
Several times, Albert Ayler described his music as being essentially a melody, an outburst of love, and one can believe him. It is universal love expressed sometimes with frightening strenght. By love we mean joy, and extreme, but also fragile happiness. This is perhaps the reason why this thrilling emotion is always there, giving to his music what we consider its most peculiar characteristic.
What would have become of Albert Ayler’s music had he survived? In the Maeght Foundation’s recordings, one finds besides the saxophonist’s usual fire and exuberence, an element of simplicity to which his audience was not accustomed. In “Music is the Healing Force of the Universe”, the last piece he played in Saint Paul de Vence, he clearly seems to be trying to hold back time.
Mary Maria sings with a lot of soul while Albert Ayler accompanies her with a poignant countrapuntal lyricism which would today no doubt strike deep chords.
Jazz View 004
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